Les effets de la pandémie humaine que vit notre planète et probablement encore plus la rapidité de son expansion ont fait renaître dans l’Homme la peur atavique des maladies infectieuses, que l’on avait un peu hâtivement enterrée, grâce surtout aux énormes et inimaginables progrès de la médecine moderne.
Cependant, en l’espace de quelques jours, la diffusion du Covid-19 a fait voler en éclats de nombreux dogmes et certitudes sur le degré de promptitude et les capacités de réaction même des sociétés les plus modernes du monde occidental : il suffit pour s’en convaincre de considérer les premières réactions officielles face à la crise, comme par exemple la phrase tout aussi belle que naïve « ce ne sont pas les frontières qui arrêtent un virus », suivie à peine quelques jours plus tard des mesures d’isolement et de confinement personnels plus ou moins sévères prises presque dans tous les pays.
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses études ont montré qu’il existe un rapport étroit entre le développement des maladies infectieuses et le passage des sociétés humaines de l’état de « nomade/cueilleur-chasseur » à celui de « sédentaire/agriculteur-éleveur » : la fréquentation assidue et la domestication de différentes espèces animales ont exposé nos ancêtres à des maladies inconnues de l’homme préhistorique.
A partir de la révolution dite néolithique (un ensemble de processus complexes, qui ont eu lieu sur plusieurs millénaires et dans différentes parties du monde de manière non univoque, environ entre 10000 et 7-6000 av. J.-C.), des dizaines de nouveaux agents pathogènes ont ainsi effectué le passage à l’homme en s’adaptant à notre espèce : parmi eux il faut mentionner ceux qui ont provoqué les plus terribles des épidémies, celles de peste, mais aussi ceux qui causent la gale, la rougeole, la tuberculose, la grippe, etc. Comme on le suppose depuis sa découverte il y a quelques mois, le Covid-19 aurait aussi été transmis à l’homme en passant par des animaux.
Le développement de l’urbanisation et la naissance des villes et des premiers empires (Asie occidentale, Proche-Orient et Égypte) ont accentué et accéléré ce phénomène, en lui fournissant des moyens d’expansion formidables comme les échanges commerciaux et les nombreux conflits armés, qui permettaient un certain brassage des cultures et des membres des différentes sociétés.
Les sources antiques nous ont laissé en particulier la description de deux grandes épidémies qui sont encore régulièrement mentionnées dans les textes d’histoire et qui ont précédé l’arrivée de la Peste Noire au milieu du XIVe siècle : la « peste d’Athènes», la première épidémie décrite avec une grande minutie par Thucydide (entre 430-426 av. J.-C., en provenance d’Éthiopie et d’Égypte la maladie, due à un agent pathogène encore imprécisé, a frappé Athènes pendant plusieurs années, provoquant le décès d’un quart à un tiers des habitants de la ville, parmi lesquels on compte le stratège Périclès) et « la peste de Justinien » (dont parlent entre autres Procope de Césarée et Grégoire de Tours) qui débute en 542 et dure, avec plusieurs poussées, plus que deux siècles : elle est connue comme la première véritable pandémie de l’histoire.
En affaiblissant de façon très significative l’Empire romain d’Orient et, plus à l’est, le royaume sassanide, elle a certainement contribué à préparer le terrain pour l’expansion de l’Islam en Asie et en Afrique du nord.
Bibliographie très sommaire:
DIAMOND J., The Rise and the Fall of the Third Chimpanzee, London, 1991 (cf. chap. III, 10 sur les débuts de l’agriculture).
DIAMOND J., Guns, Germs and Steel, The Fates of Human Society, London, 1997 (cf. chap. III, 11 sur les débuts de l’agriculture).
GRMEK M., Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale. Recherches sur la réalité pathologique dans le monde grec préhistorique, archaïque et classique, Paris, 1993.
NAPHY W. – SPICER A., Plague, Black Death and Pestilence in Europe, London, 2004. SCOTT J.C., Against the Grain, A Deep History of the Earliest States, Yale, 2017.
Pour les textes de Thucydide et de Procope v. :
http://remacle.org/bloodwolf/textes/thucypeste.htm
http://www.remacle.org/bloodwolf/historiens/procope/perses22.htm#XXIII