« …il y a aussi d’autres moments, rapides et glissants, où Marie sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à Elle, et qu’il est Dieu. Elle le regarde et Elle pense : « Ce Dieu est mon enfant. Cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux, et cette forme de sa bouche est la forme de la mienne. Il me ressemble. Il est Dieu et il me ressemble. »
Tiré de « Bariona ou le fils du tonnerre », de J.-P. Sartre.
Pour des questions de terminologie, on parle presque toujours de l’ « Homme préhistorique » et on a souvent tendance à oublier que son histoire est indissociable de celle de la « Femme préhistorique », dont l’importance est cependant prouvée par de nombreux monuments, véritables chefs-d’œuvre artistiques, qui remontent parfois jusqu’au début du Paléolithique supérieur, environ entre 30 et 20 millénaires avant l’ère chrétienne. Il est raisonnable d’imaginer que ces représentations étaient le reflet de la fonction que la femme jouait comme mère, comme symbole de fécondité ou comme « objet du désir », sans que l’on ne puisse établir avec plus de précision le(s) rôle(s) que tenai(en)t les femmes dans ces sociétés anciennes.
Dans la Genèse biblique, dans l’Ancien Testament, Eve fut la première femme : selon les interprétations les plus suivies, elle serait née d’une côte ou du flanc d’Adam (Gen, 2, 21-23). Elle est présentée comme une tentatrice (Gen., 3, 1-6), mais surtout comme la « vivante, la source de Vie » (comme l’indique l’étymologie de son nom) : Adam appela sa femme Eve, car elle devait être la mère de tous les vivants (Gen., 3, 20).
La femme est donc perçue comme créatrice d’une nouvelle vie, domaine dans lequel elle est plus forte et plus mystérieuse que l’homme : en l’absence de connaissances scientifiques, nos ancêtres ont ainsi placé les figures féminines au centre de l’existence-même et l’idée de femme est devenue indissociable de celle de mère.
L’iconographie de l’époque néolithique et d’une grande partie de l’Age du Bronze, nous offre fréquemment des images féminines : leurs formes le plus souvent abondantes et arrondies et l’accent régulièrement mis sur leurs caractéristiques sexuelles, perçues comme indispensables pour la transmission de la vie d’une génération à l’autre, évoquent les croyances liées à la fécondité de la terre, des animaux et des hommes.
Trouvées en grand nombre sur plusieurs sites d’une vaste région allant du nord de la Mésopotamie à l’est de l’Anatolie, les statuettes en terre cuite dites de Tell Halaf, sont un très bel exemple de ces représentations : comme le montre la figurine exposée dans les vitrines de la galerie Young Collectors, il s’agit de figures féminines assises, aux cuisses impressionnantes et aux seins énormes, qu’elles encerclent de leurs bras pliés. Le visage est à peine esquissé (les détails comme les yeux étaient peints) et leur tête est généralement surmontée par une coiffe ou un couvre-chef semi-circulaire. Dans la littérature, on les appelle souvent du terme générique d’« idoles », mais leur signification exacte reste inconnue ; cependant, différents auteurs pensent qu’il s’agit d’une grande divinité féminine, que l’on nomme la Déesse-mère.
Dans le monde égyptien, plusieurs divinités sont préposées à la maternité et à la protection des nouveau-nés, à commencer par Thouéris, la déesse hippopotame, qui était adorée depuis la plus haute Antiquité : debout, seins pendants, gros ventre de femme enceinte, elle apparaissait dans les scènes de naissance, comme une figure bienveillante, protégeant en particulier les parturientes et les nouveau-nés.
Deux autres figures bien attestées dans l’iconographie égyptienne, en particulier à partir de la fin du IIe millénaire av. J.-C. jouaient le rôle de protecteurs dans le domaine de la maternité et de la naissance : Isis, l’épouse d’Osiris, et Bès, un génie bienfaisant représenté comme un nain hideux, qui se montrait particulièrement prévenant envers les femmes et les enfants.
Les ex-voto et/ou les amulettes reproduisant ces deux personnages sont parmi les plus répandus : la statuette en faïence montre l’épouse d’Osiris en tant qu’Isis lactans. Assise sur un siège à bas dossier, la déesse tient Horus-l’Enfant (le fils né de son union avec Osiris) sur les genoux et lui offre le sein gauche. Horus, qui comme tous les enfants est toujours représenté comme un adulte de petite taille, est coiffé d’une longue mèche latérale : il s’agit du seul élément qui le caractérise comme enfant.
Dans une plaquette rectangulaire modelée en faïence, la tête de Bès est facilement identifiable à son horrible grimace : percé d’un trou, l’objet était certainement porté par une jeune mère ou suspendu dans une chambre ou à une couche comme pendentif/amulette magique. Grâce à sa laideur et à son aspect redoutable Bès avait le pouvoir de chasser les entités malignes.
Le sujet de la maternité est bien présent aussi dans un important groupe de figurines phéniciennes ou puniques en terre cuite moulée, qui sont datées entre le VIIe et le Ve siècle av. J.-C. ; le premier ensemble présenté ici est composé de deux femmes debout. La première, la parturiente, pose ses mains sur son ventre arrondi, tandis que son accompagnatrice, représentée juste derrière elle, mais debout sur la même base rectangulaire, pourrait être une sage-femme.
Le deuxième groupe montre une femme assise sur un ample siège cylindrique, qui tient un enfant emmailloté sur ses genoux. Celui-ci posait sa tête (actuellement perdue) dans le creux du bras de sa mère et s’apprêtait probablement à se nourrir à son sein.
Ces figurines, qui sont un magnifique témoignage de piété populaire, servaient comme cadeau à offrir à une divinité dans un sanctuaire, dans l’espoir d’un accouchement sans complications ou en remerciement pour la naissance d’un enfant.
Une figurine en verre de femme accroupie, qui est à dater de l’époque gréco-romaine, appartient à une série d’objets à caractère génériquement érotique, modelés tantôt en terre cuite ou en verre, en métal, voire en faïence. La femme, entièrement nue, se trouve dans une position particulière, puisqu’elle est accroupie, avec les pieds posés par terre, tandis qu’elle appuie ses mains sur ses genoux ; ses seins volumineux et son ventre arrondi indiquent que la femme est probablement enceinte.
Il existe un important nombre de variantes de ces représentations (qui sont parfois appelées Baubô ou pseudo-Baubô), qui vont des formes plus douces, comme celle en examen où la femme semble proche de l’accouchement, à celles plus obscènes et indécentes, où la femme porte ses mains vers la vulve. Dans la littérature on s’accorde pour leur attribuer une valeur magique et prophylactique : vue leur taille très petite et la fréquente présence d’une bélière, elles pouvaient facilement être portées sur la personne comme pendentif/amulette et devaient favoriser génériquement la fécondité et la sexualité féminine et, un peu comme le dieu Bès, protéger les parturientes.
Ayant été choisie pour devenir la Mère du fils de Dieu, Marie est la mère par excellence de la tradition évangélique chrétienne : son exceptionnalité est soulignée par le dogme de sa virginité. Marie jouit d’une prééminence absolue sur tous les autres saints puisque grâce à son lien indissoluble avec Jésus, son intercession auprès de Dieu en faveur des fidèles est la plus puissante.
Elle apparaît incisée sur deux croix en bronze datées de l’époque byzantine : l’une est une simple plaquette cruciforme où la Madone figure debout, très stylisée et simple, les bras ouverts en signe d’adoration. L’inscription en caractères grecs l’identifie comme la « Mère de Dieu ».
L’autre objet est une petite boîte en forme de croix destinée à contenir une relique et pourvue d’une bélière de suspension, qui permettait d’en faire un pendentif. Marie, encore une fois caractérisée comme Mère de Dieu par l’inscription, est gravée sur la face principale de la croix-reliquaire ; au centre de sa poitrine une décoration circulaire rapportée, mais malheureusement perdue, soulignait son importance. L’autre moitié de la croix est ornée de l’image d’un personnage parmi les plus connus de la tradition chrétienne, Saint Etienne, qui a été le premier des martyres. Il est identifié par l’inscription en grec ainsi que grâce à ses attributs, l’étole et les branches de palmiers.
Bibliographie très sommaire :
COHEN C., La femme des origines, Images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris, 2003.
DASEN V., Le sourire d’Omphale, maternité et petite enfance dans l’Antiquité, Rennes, 2015.
DESROCHES NOBLECOURT C., La femme au temps des pharaons, Paris, 2000.
KEEL O. – SCHROER S., Eva, Mutter alles Lebendigen, Frauen- und Göttinnenidole aus dem Alten Orient, Fribourg, 2004
LIGABUE G. – ROSSI-OSMIDA G. (ed.), Dea Madre, Milan, 2006