Si les épidémies n’ont pratiquement laissé aucune trace dans l’iconographie antique, il en va tout autrement pour de nombreuses affections qui se manifestent par des handicaps physiques bien visibles : dans l’art gréco-romain, ainsi que dans l’iconographie de nombreuses autres cultures antiques, il existe un grand nombre d’objets, généralement non homogènes, qui présentent des personnages porteurs de défauts physiques, voire de maladies, qui vont de la simple verrue à l’obésité ou du nanisme aux déformations osseuses, etc. Dans la littérature, ces représentations sont généralement définies par le terme de « grotesques ».
Des chercheurs spécialistes en la matière mettent d’ailleurs en relation ces images avec nos connaissances médicales, dans le but d’avoir une idée plus claire de quelles maladies touchaient le monde antique, de comment ces pathologies pouvaient interagir et comment elles ont pu influencer les sociétés contemporaines (pathocénose).
Quelques uns parmi les objets présents dans les vitrines de la galerie YC, sont en rapport avec ce sujet. Par exemple, deux statuettes en terre cuite peuvent être retenues parmi les premières représentations actuellement connues d’une malformation physique, puisqu’elles datent du début de l’époque néolithique.
Il s’agit de deux figurines dont la technique, la typologie et le style correspondent à celles des « idoles » assises dites de Tell Halaf : la plus grande reproduit un personnage au sexe indéfinissable (les formes féminines abondantes de cette typologie sont ici absentes), anormalement penché vers la gauche et vers l’avant ; son dos est bossu et sa colonne vertébrale en relief ; des traits peints pourraient représenter les côtes et souligner ainsi sa maigreur. La deuxième figurine, qui est très petite, presque comme une miniature, est une femme qui entoure sa poitrine énorme de ses bras : son dos présente une grosse bosse régulière et arrondie, mais sans indications des côtes ni des vertèbres.
Malheureusement, l’absence de parallèles précis et, plus en général, de données sur les sociétés contemporaines, rend toute interprétation des malformations visibles sur les deux statuettes très hypothétiques. Il est néanmoins tentant d’y reconnaître une première image de personnages bossus ou frappés par une maladie osseuse ayant entraîné une déformation de la colonne.
Rapprochons-nous chronologiquement de plusieurs millénaires, jusqu’à l’époque gréco-romaine, à laquelle sont attribuées deux statuettes en bronze de petite taille. Dans la première, on reconnaît un silène au corps velu et aux oreilles pointues, qui tient, dans la main gauche, une grappe de raisin ; mais les proportions de son corps sont particulières et correspondent à celles d’une personne probablement atteinte d’achondroplasie (une forme de nanisme), puisque sa tête est trop grande et ses jambes trop courtes et partiellement tordues ; son sexe est de taille démesurée.
L’autre figurine reproduit un soldat d’infanterie se trouvant dans le vif d’un combat (la position asymétrique des jambes indique qu’il se déplaçait sur un terrain escarpé) : il est armé d’une dague (actuellement perdue) et se protège de l’ennemi grâce à son bouclier en croissant de lune et à son casque. Comme celles du silène, ses proportions sont différentes de la norme, puisque ses jambes sont courtes par rapport à la taille du torse (cf. surtout dans la vue de dos) ; son dos est cambré de façon très prononcée et son sexe est trop gros.
Les représentations de nains achondroplases sont bien attestées dans l’art classique surtout à partir de l’époque hellénistique et pendant l’époque romaine : elles sont reconnaissables aux proportions du corps et à la taille de la tête.
Comme pour les images de bossus, leur nombre est bien supérieur à la moyenne des personnes réellement touchées par cette maladie. Leur fréquence s’explique probablement par la signification apotropaïque et de porte-bonheur qu’on attribuait aux porteurs de tels handicaps ; les dimensions anormales de leur sexe, qui ne correspondent pas à la réalité, sont à expliquer de la même manière.
Il faut souligner l’excellente qualité artistique de la statuette de silène de même que le rendu précis de la musculature du guerrier ainsi de sa position très particulière.
Le dieu gréco-romain préposé à la médecine et protecteur des malades était Asclépios (Esculape pour les Romains), un des enfants d’Apollon. Pour faire son éducation, celui-ci l’a confié au centaure Chiron qui lui a appris en particulier l’art de la médecine. Capable de ressusciter les morts, Asclépios est mort foudroyé par Zeus, qui craignait qu’il ne puisse bouleverser l’ordre cosmique ; après son décès, il a été transformé en une constellation, celle qui porte le nom de Serpentaire.
Une bague en argent, dont le métal est malheureusement très corrodé, est ornée d’un cabochon circulaire en cornaline sur lequel apparaît, taillé en relief dans le creux, le magnifique buste d’un homme barbu, d’aspect encore juvénile : ses cheveux sont courts et retenus par une couronne de feuilles nouée derrière la nuque ; un manteau couvrait son épaule gauche. La typologie de la tête correspond, entre autres possibilités, à l’iconographie d’Asclépios et un détail précis assure son identification : devant son visage, se trouve en effet l’extrémité supérieure du caducée d’Asclépios, autour duquel s’enroule un serpent. Cet attribut avait le pouvoir de guérir toutes les maladies.
Peut-être, doit-on aussi deviner un rappel à Asclépios et à ses pouvoirs de guérisseur dans un tout petit bijou en or, modelé en forme de serpent au corps sinueux et régulier, même si le bâton du dieu est ici absent : la bélière façonnée au niveau de la queue indique qu’il était porté comme pendentif de collier et qu’il servait probablement comme amulette magique et protectrice.
On le voit donc bien, même à travers des petites représentations comme celles proposées ici, que l’Antiquité ne nous a pas laissé seulement le monde idéal du corps humain beau et parfaitement proportionné qui correspond plutôt au goût néoclassique du XIXe siècle. A côté des grandes réalisations, que tout le monde connaît pour les avoir même visitées lors d’excursions touristiques, il y a tout un univers d’objets, qui ne sont pas seulement à considérer comme populaires, mais qui présentent et décrivent de manière réaliste ce que nous appelons souvent « l’autre » ou le « différent », c’est-à-dire l’étrange, le malade, le barbare, voire même le vulgaire ou le repoussant.
Bibliographie très sommaire :
DASEN V., Dwarfs in Ancient Egypt and Greece, Oxford, 1993.
GRMEK M. – GOUREVITCH D., Les maladies dans l’art antique, Paris, 1998.
GRMEK M., Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale. Recherches sur la réalité pathologique dans le monde grec préhistorique, archaïque et classique, Paris, 1993.
KING H. – DASEN V., La médecine dans l’Antiquité grecque et romaine, Lausanne, 2008.
Et encore :
JOCKEY P., Le mythe de la Grèce blanche, Histoire d’un rêve occidental, Paris, 2013.