
Tout a peut-être commencé par quelques coquillages ramassés sur une plage, ou par des galets lisses au profil un peu spécial, ou encore par des morceaux de bois choisis avec soin. C’était au bord de l’eau, ou dans une forêt…
Une chose, toutefois, est certaine: l’acte de collectionner est universel et ancestral, sans doute aussi ancien que l’apparition de l’Homme sur la Terre. Mais ce geste, dont les premières traces sont attestées à l’époque de la Préhistoire déjà, était-il alors pratiqué de manière consciente?
Car bien que les séries d’objets retrouvés sur les sites rupestres aient vraisemblablement été collectés et assemblés pour l’aspect particulier qu’ils présentaient, on peut se demander si nos ancêtres étaient véritablement conscients de la portée de leur geste, et s’ils collectaient ces objets pour eux seuls ou pour un public.
Ces questions n’ont bien entendu pas de réponse simple et exhaustive, en ceci qu’elles nous amènent à interroger et à définir l’essence même de l’acte de collectionner.
On sait, grâce aux sources littéraires encore conservées, que, durant l’Antiquité, les classes aisées aimaient décorer leurs intérieurs et leurs jardins d’oeuvres somptueuses qu’ils commandaient directement aux artistes; ces premières collections privées avaient comme fonction essentielle de montrer son rang social et d’établir son pouvoir, mais on ne peut nier le fait qu’elles étaient également “données à voir”, comme on affiche son goût, ses aspirations, une trouvaille dont on s’enorgueillit. Ce sont ces prémisses, ainsi que les regards éclairés de nombreux mécènes bienveillants tout au long de l’histoire de l’art qui ont permis la création des institutions muséales telles que nous les connaissons aujourd’hui.
Le Louvre, pour ne citer que lui, a une longue histoire de conservation artistique et historique. Demeure de Louis XIV jusqu’au départ de ce dernier pour le château de Versailles, ce palais a d’abord accueilli une partie des collections royales de tableaux et de sculptures antiques, tout en hébergeant des académies et des artistes. Ce n’est qu’un siècle plus tard, au moment de la Révolution, qu’il a véritablement été transformé; le “Muséum central des arts de la République” ouvrit ses portes en 1793, riche de plus de 600 oeuvres issues des collections royales, ou confisquées chez des nobles émigrés ou parmi les membres du clergé. Par la suite, prises de guerre, acquisitions, legs et donations, ainsi que missions archéologiques ne cesseront d’enrichir ces collections.
Bien que dans ce cas précis la collection publique se soit constituée par une nationalisation des biens privés, ce passage de la collection privée à la collection publique s’est opéré sensiblement au même moment dans d’autres pays d’Europe. On serait tenté d’en déduire que l’idée de l’utilité publique de l’art et du savoir, devenue la vocation du musée depuis lors, s’est éveillée simultanément dans l’inconscient collectif, mais il serait réducteur de ne prendre en compte que les dimensions sociale et culturelle de l’histoire des musées en en écartant la dimension politique.
Aujourd’hui, le Louvre est le musée universaliste le plus visité au monde et possède des départements d’antiquités orientales, égyptiennes, grecques, étrusques et romaines. Parallèlement à ce type d’institutions, nombreuses sont les personnes qui font l’acquisition de pièces anciennes et qui constituent des collections remarquables. Autrefois l’apanage exclusif de l’aristocratie et de la bourgeoisie, cette pratique tend même à se démocratiser de nos jours.
Conservateur de musée ou collectionneur privé, l’amateur d’art collectionne-t-il aujourd’hui de la même façon que le firent jadis les empereurs romains ou les rois de France? Qu’est-ce qu’une collection, par quoi commence-t-elle et où finit-elle?
Et une fois encore, cette question basique: pourquoi collectionne-t-on? Sans doute parce que collectionner permet de perpétuer l’Histoire, de la raconter et de se situer en elle. Et que dans le reflet de cette passion, le passé et le présent se confondent pour créer une toute nouvelle histoire: la nôtre.
Martine Bouilloux